ETRETAT. Tounéco se faufile de rue en rue et se retrouve face à une immense bâtisse.
» Un si grand navire pour un si petit équipage ! » tels sont les mots du guide sortant de ce lieu bien intrigant avec un groupe de touristes. Caché derrière un petit calvaire, Tounéco les voit s’éloigner et trépigne d’en savoir plus. Surtout que les petits cailloux sous ses pattes lui rappellent ceux de son Valaine natal et la nostalgie ne tarde pas poindre. Reverra t-il un jour son berceau familial ? L’appel de l’inconnu est trop fort et le voilà au pied de la fameuse » bâtisse » dont la porte grande ouverte laisse résonner au dehors des notes mélodieuses des grandes orgues : la pastorale de Beethoven, arrangement pour clavier, on joue « l’ Orage ».
D’un bond il franchit le porche et le voici dans l’église. Très vite ses yeux s’habituent à la lumière plus douce et colorée venant des vitraux mais aussi de centaines de cierges allumés, des odeurs de santal typique des lieux de culte lui parviennent et , nouveau coup de nostalgie qui l’étreint, devant lui, un puits lui rappelle celui du manoir de sa naissance, là-haut sur la falaise. Un puits dans une église ?
Et la puissance de la nef ? D’importantes colonnes courtes et rondes supportent de puissants cintres romans. Plus loin, comme un puits, de lumière cette fois, inonde de clarté par sa tour lanterne l’ autel perché sur quelques marches, et là-bas, tout au fond, une statue de la Vierge. C’est l’église Notre-Dame d’Etretat.
Tounéco murmure » C’est beau, mais pourquoi ce puits à l’entrée ? » N’y tenant plus, il saute sur la margelle et trouve l’entrée obturée par une grille. Au fond du puits, tout au fond, il croit percevoir de l’eau qui coule… Cette église a eu déjà plusieurs » vies « . Sa première fût celle d’une église fortifiée pour se défendre des invasions et on y trouvait un point d’eau. Ca tombe bien notre ami a soif, mais rien ne lui permet d’atteindre le fond du puits. Il avise alors une sorte de gros coquillage, ancré dans un des piliers et qui contient de l’eau. Pour l’atteindre, une seule solution, jouer au funambule sur le dessus des prie-dieu. Un, deux, tr…ois ! Boum, c’est la chute sur le sol en grès blanc ! Une chute qui tombe à pic, car elle vient de lui éviter quelques dérangements gastriques. L’eau contenue dans ce coquillage n’est surtout pas à boire, c’est l’eau bénite pour se signer en entrant dans l’édifice, pas sûr qu’elle soit buvable. Vexé de sa chute, Tounéco se réfugie derrières les livres de messe.
La musique s’arrête, des pneus crissent sur le gravier, dehors, toute une famille apparaît, » endimanchée « , joyeuse. Les enfants s’en vont devant, les autres suivent en riant. Une jeune femme porte dans ses bras un nouveau-né emmailloté. Le silence se fait et un homme souriant vient à leur rencontre, tel un » deux ex maquina » (mais d’où sort-il celui-là …), tout de blanc vêtu, qui accueille le groupe avec tendresse et respect. Quelques instants plus tard, le bébé pousse un petit cri et sursaute, » l’homme blanc » vient de lui verser de l’eau sur le front, une eau froide qui glisse sur les mèches blondes et en quelques mots, le prêtre confirme à cet enfant que le voilà accueilli dans la Grande Famille des Chrétiens, lui offrant un cierge lumineux ! » Bizarre, bizarre » se dit Tounéco sans se douter un instant que cette » eau » symbolique sera présente dans chaque rituel de ces humains, de la naissance à la mort, passant par des fêtes carillonnées ou les mariages. Et dans beaucoup de religions, en plus, l’eau est un symbole fort !
Profitant de la fin de la cérémonie, des rires, des flashs des appareils photographiques, des embrassades, alors que les grandes orgues reprennent leurs cascades de notes, Tounéco s’enfuit discrètement, non s’en remarquer que là-haut, les cloches, à pleine volée, inondent l’air d’un vacarme festif.
A suivre…